D’après mes observations, la production artistique (et pas seulement) invite à trois types de souffrance qui peuvent ralentir, voire empêcher la finalisation d’un projet :
– intellectuelle : est-ce que j’utilise correctement tous mes moyens ?
– technique : qu’est-ce qui pourrait m’aider et que je n’ai pas ?
– philosophique : quand arrêter de se préparer pour agir ?
Cet article est fait pour tous ceux qui se perdent dans des intellectualisations stériles les empêchant de réaliser leurs projets. On en connaît, c’est peut-être même nous-mêmes !
S’APPLIQUER POUR EXPLOITER SES CAPACITÉS
Est-ce que j’ai tout ce qu’il me faut pour atteindre mon but ?
Pour servir un propos artistique, l’idéal est de maîtriser la technique permettant de l’exprimer conformément au but recherché. La spontanéité désinvolte pourrait très bien fonctionner, tout dépend du rapport qu’il existe entre le but et le moyen de l’atteindre. La liberté, c’est quand on peut ce que l’on veut. Si vous êtes satisfait de votre prestation instrumentale sans moindre pain à la guitare, de votre enregistrement sans aucun grésillement, de votre production musicale parfaitement cohérente, alors vos capacités (techniques et matérielles) étaient suffisantes, que ça ait été laborieux (intellectuellement, matériellement) ou pas. Le résultat final vous convient ? Même si quelqu’un d’autre aurait utilisé une autre méthode ou visé un autre résultat, c’est vous qui avez le dernier mot ! On peut alors considérer que la limite de la zone de confort n’a pas forcément à être dépassée. On peut très bien réaliser un projet artistique sans souffrance ni tourment, sans perfectionnisme autoflagellateur, si on se contente de vouloir ce que l’on peut. Certains trouveraient cela dommage, mais chacun fait selon ses envies, ses inspirations, ses ressources. Si c’est peu, c’est peut-être suffisant. On peut même considérer qu’exploiter complètement ses capacités, grandes ou petites (tout est relatif), relève déjà d’une grande performance, que ce soit au nom de l’exercice de style ou pas. La vérité n’est pas toujours ailleurs, là où l’herbe semble plus verte !
TRAVAILLER POUR DÉVELOPPER SES CAPACITÉS
Qu’est-ce qui me manque pour réussir ?
Si l’on se sent trop limité pour atteindre un objectif, malgré toute l’application mise dans les tentatives, on peut travailler pour repousser ses limites en acquérant des nouvelles techniques ou du nouveau matériel. Ce travail d’élargissement de sa zone de confort peut non seulement rendre des objectifs plus réalistes, mais peut également en inspirer d’autres. Si je suis capable de plus, je peux m’autoriser davantage. Et puis on peut aussi demander des conseils à des copains, lire des livres de théories jusqu’au bout de la nuit… Avec de nouvelles cordes à son arc viennent de nouvelles idées. On ne sait jamais tout, il y a toujours des choses à apprendre. En partant de ce principe, la curiosité peut mener jusqu’à de nouvelles méthodes plus efficaces, permettant de faire des économies en effort, en temps, en matériel. Parfois, pendant une démarche d’apprentissage, on s’aperçoit que l’on a déjà le bon matériel. Alors, au lieu d’acheter un processeur à 2000 euros, on a juste appris à utiliser un plugin et c’est suffisant. Des milliers de cas de figures similaires existent. Il y a souvent une meilleure façon de faire les choses : plus simple, moins chère… mais pas toujours les deux. Quand on a trouvé une stratégie pas trop gourmande en ressources (financières, intellectuelles et de temps), alors on est prêt à agir.
ARRÊTER DE CHERCHER
Est-ce que je suis vraiment prêt ?
Puisqu’il y a toujours quelque chose à apprendre, toujours une technique à découvrir et travailler, toujours un plugin ou une pédale d’effet pratique à acheter, on peut se perdre. Les conditions pourraient toujours être meilleures, plus propices à la concrétisation d’un projet. En tout cas, c’est l’idée que l’on peut se faire quand on est bloqué, et qui entretient également ce blocage. Tout est perfectible, et rien n’est suffisamment bien pour le perfectionniste excessif, l’angoissé qui refuse l’erreur. En conséquence, au lieu de chercher à résoudre des problèmes auxquels on a été confronté, on peut se lancer dans une recherche infinie. Faites l’inventaire de ce que vous possédez déjà sans l’utiliser, regardez-vous passer des heures devant des catalogues de vendeurs de matériel neuf ou d’occasion… Oui, « ça peut toujours servir ». Si l’on cherche à anticiper d’éventuels problèmes, la quête de solutions pour ces problèmes fantasmés est sans fin. On n’a jamais fini d’anticiper. Ah, si seulement on tombait sur « le truc » assurant un succès sûr et certain. Tant que l’on n’aura pas trouvé ce « doudou » pour se rassurer, que ce soit un appareil, un instrument, ou une technique-miracle, on se sentira faible et démuni. L’enjeu ici est plus psychologique que technique. Si l’on ne sait pas ce que l’on cherche, c’est que l’on cherche autre chose que ce que l’on pourrait trouver. Si le problème est mal posé, aucune solution ne semblera adéquate. Pour commencer à agir, il faut se sentir confiant avec ce que l’on sait et possède déjà. Sans confiance, on ne trouve pas de solutions, que des excuses.
ACCEPTER ET AGIR
Est-ce que je peux être sûr avant d’avoir expérimenté ?
Si l’on demande des conseils autour de soi, ou si l’on cherche dans des livres ou sur internet sans savoir ce que l’on cherche, on peut tomber sur des suggestions qui feront partie de la palette technique qui sera la nôtre. On n’a pas besoin de savoir ce que l’on veut trouver pour trouver quelque chose d’intéressant. L’abondance des sources d’informations donne l’embarras du choix. Il y a du choix, certes, mais il y a aussi l’embarras. Quand rien n’est prévu, tout est possible. On ne sait pas ce que l’on ignore. La simple exploration hasardeuse mais approfondie peut faire jaillir certains enseignements insoupçonnés. Mais, à un moment, il faudra agir, non ? Il est tout à fait possible de combiner à la fois de la recherche et de l’action, peu importent son matériel et ses connaissances. L’important ce n’est pas ce que l’on utilise mais comment on l’utilise. Le bon outil n’a aucune valeur si vous n’avez pas l’expérience de son usage car le pouvoir de l’outil n’existe que dans la révélation de son potentiel par vos décisions, vos actions. Le problème n’est donc pas l’outil, qui n’est là que pour aider à agir. Sans vous, l’outil ne fera rien. Si l’on attend de se sentir parfaitement prêt après seulement une recherche théorique et sans action concrète, est-ce qu’un jour on fera quelque chose ? Dans la méthodologie de la « Roue de Deming » (PDCA), la phase de réflexion est la première (Plan), et elle doit déboucher sur une face de test (Do), qui donne des informations sur la viabilité de la méthode (Check), et ensuite on agit par rapport à ces premiers résultats en ajustant par rapport à la réalité (Act).
Identifier le réel problème permet de trouver la véritable solution qui permettra d’avancer. Si l’on n’arrive pas à trouver la réponse, il faut peut-être changer la question. Si l’on ne trouve pas la méthode, il faut peut-être changer le but. La première solution que l’on est capable de se représenter n’est pas forcément la meilleure possible, c’est juste la première : mais sans action, on reste bloqué dans des hypothèses et on n’agit pas. Les premiers jets sont rarement fantastiques, surtout sans expérience. Comment faire pour avoir de l’expérience ? Testons, agissons ! Et si c’est raté, on refera en mieux ou en différent !
E.C.
« If you spend too much time thinking about a thing, you’ll never get it done. »
– Bruce Lee