Laboratoire musical, Non classé, Project studio, Témoignage

Une réalité trop grande à enregistrer

La réalisation d’un album, d’un EP, ou même d’un seul titre, est un véritable parcours du combattant d’un point de vue technique, et un pénible parcours initiatique d’un point de vue philosophique. Une chose est sûre : il n’y a pas d’objectivité donc la perfection n’existe pas. On ne peut qu’essayer d’orienter le tout dans une direction subjective et évolutive, au fil des différentes étapes de la production. Dans tous ces méandres de perceptions et perspectives, comment faire de son mieux, où trouver le juste milieu ?

LA PRISE DE SON : UNE RÉCOLTE D’INFORMATIONS
L’enregistrement n’est pas une formalité, on ne peut pas tout rattraper au mixage. Il faut donc bien penser aux méthodes et au matériel pendant la préproduction afin de mettre toutes les chances de son côté au moment de la phase de production. A moins que vous n’ayez prévu d’enregistrer dans des conditions que vous maîtrisez déjà.
Chaque type de micro a sa propre réponse en fréquence. Tous les micros n’ont pas la même sensibilité. A partir de ce constat, on aboutit naturellement à la conclusion qu’un enregistrement est une captation partielle d’un signal sonore. Il faut donc choisir des micros, décision qui revient indirectement à choisir quelles fréquences on va garder et lesquelles on va rater. A titre indicatif, pour les enregistrements de voix, j’utilise deux micros, à la fois un PG42 de Shure, un micro à condensateur (ou électrostatique) particulièrement doué pour la précision du contour et des aigus, et un RB500 de t.Bone, un micro à ruban qui est plus sensible à la définition de la texture et des basses. C’est sans doute superflu d’utiliser deux micros, mais c’est la façon la plus sécurisante pour moi d’enregistrer.  Un seul bon micro bien placé suffirait probablement !
Il ne faut pas non plus oublier la propriété physique du son, qui est une onde en mouvement, une onde à la fois véhiculée et caractérisée par les matériaux qu’elle traverse, et altérée au fur et à mesure de sa distance parcourue. Le son n’est pas perçu de la même façon selon le point où l’on se trouve, et il faut bien décider d’un endroit où placer le micro ! Un même micro collé à un ampli guitare, ou à 30 centimètres en face, ou sur les côtés, ne captera pas du tout le même son. Si l’on cherche une restitution authentique du son, fidèle à ce qu’on entend en direct/live, le plus évident est de placer le micro à l’endroit où l’oreille humaine capterait selon vous le son perçu comme étant le plus riche. Subjectivement, car ceux qui mesurent 1m60 ne percevront pas le son de la même façon que ceux qui mesurent 1m90. Par ailleurs, la nature du son variera aussi forcément d’une fois sur l’autre même s’il sort du même instrument joué par le même instrumentiste. Il n’y a pas qu’une seule forme d’authenticité, ce concept est juste l’idée d’un résultat possiblement réaliste, ou reconnaissable comme tel à partir d’un point de vue.
L’enregistrement est donc une opération de captation subjective et partielle d’un son émis d’une manière particulière et singulière. Un enregistrement est inévitablement orienté par une suite de choix dans un monde aléatoire ! Et ce n’est pas fini !

mics

MIXAGE : SOUSTRAIRE POUR RAFFINER
Une fois l’enregistrement réalisé, on continuera de perdre de l’information au mixage, en nettoyant et façonnant les pistes pour en révéler les éléments-clés pour chaque instrument. Pour ce faire, il semble plus logique (avec un EQ) de gommer les éléments superflus que d’accentuer ce que l’on veut mettre en avant. Enlever l’inutile permet de mieux maîtriser l’espace sonore qui serait vite encombré de fréquences gênantes, comme les très basses fréquences pour une flûte irlandaise par exemple, qui occuperaient discrètement cette piste. Ajoutées aux très basses fréquences d’autres pistes, on arrive rapidement à un épais brouillard. D’où l’intérêt de ne pas avoir trop de pistes à mixer pour chaque morceau… Less is more, comme on dit !
imaginez une rangée de dix vitres alignées, chacune étant légèrement opaque . Si on regarde au travers d’une seule de ces vitres, on voit quasiment parfaitement au travers. Mais si on se place dans l’axe des dix vitres pour regarder à travers elles, on s’aperçoit que l’image est bien plus terne.  Pour éviter cet effet de masque qui obstrue la vision,  il faut bien nettoyer ces vitres, chaque vitre. Idem avec le son. Les fréquences disparues de certaines pistes seront donc occupées par ces mêmes fréquences venant d’autres instruments. L’idée grosso modo est de ne garder que des couleurs distinctes pour chaque piste, en tronquant des bouts des plages de fréquence qui seront plus intéressantes pour certains instruments que pour d’autres.
Ces opérations sont à effectuer dans la limite du raisonnable, bien sûr, pour ne pas dénaturer chaque piste et jouer à Tétris, tel un  maniaque de la géométrie, avec des pistes amputées totalement de la moitié de leur matière. En plus de l’EQ, il y a la compression qui pourrait, en tant que traitement du son, aussi bien révéler les qualités que détruire vos pistes. Voilà donc le défi : réussir à raffiner plutôt que détériorer.

eq

EVITER PUIS EXPLOITER LES ERREURS
L’enregistrement est une récolte de matière première. Plus elle est qualitative, moins l’on souffre de travailler à la raffiner au mixage. Un instrument que l’on considère comme mal enregistré ne pourra pas être poli comme prévu. Son traitement sera donc orienté par la qualité du son qui aura aussi immanquablement une incidence sur les choix pour les autres pistes, au nom de la cohérence globale du morceau. On ne fait pas avec ce qui était prévu, on fait avec ce qu’on a. On peut chercher à sauver des pistes mal enregistrées, on peut le tenter, et on peut réussir. En 1 minute ou en 10 heures… Parfois on n’y arrive juste pas du tout. L’expérience fait prendre conscience que l’on peut perdre un temps fou à vouloir réparer les choses, en vain. On ne peut pas fabriquer un bijou en or à partir d’excréments. Encore faut-il bien analyser la nature du matériau de départ. Au lieu de bricoler pendant des heures, si vous en avez la possibilité, par pitié, réenregistrez ! Et si vous ne le pouvez pas, apprenez de vos erreurs pour faire mieux la prochaine fois ! Les erreurs sont utiles et nécessaires pour rectifier ses méthodes.
L’erreur peut être aussi l’occasion d’avoir une inspiration particulière, ou de tester sa résistance à l’imperfection. Les choix artistiques seront donc orientés par la moisson réalisée à l’enregistrement. Rares sont les prises de son précisément conformes à l’idée que l’on s’en faisait… et tant mieux, car l’alchimie sonore et l’inspiration sont des choses qui dépassent la capacité d’anticipation de l’humain. Il y a des méthodes pour réussir une prise de son, mais il n’y a pas de recette pour réussir de la même façon à chaque fois. Même si les conditions d’enregistrement étaient (semblaient être) exactement les mêmes, les prestations des instrumentistes seraient fatalement différentes.
L’erreur est quelque chose d’involontaire : si elle était volontaire, elle ne serait pas une erreur. L’erreur n’est donc pas quelque chose de mauvais par essence. C’est parfois une déception de laquelle il faut se relever, soit en réenregistrant (j’insiste sur cette option qui serait tellement un impératif si on pouvait se le permettre !), soit en s’accommodant de ce que l’on a pour en faire le meilleur usage possible. Mon côté optimiste et curieux de terrains inconnus me pousse même à apprécier tout particulièrement les accidents, jusqu’à compter sur eux en tant qu’incontournables sources d’inspiration. Un accident crée un exercice (de style) dans un univers où la liberté totale serait limitée par sa propre imagination.

Il y a un quota d’erreurs au-delà duquel vous serez toujours plus ou moins satisfait de votre travail. Certaines erreurs à l’enregistrement seront des bénédictions car ce seront de heureux hasards à partir desquels vous allez pouvoir réviser vos inspirations, vos buts. Le hasard ravive l’intérêt que l’on porte sur son travail, donc les surprises sont les bienvenues. L’inattendu est un terrain supplémentaire que l’on peut explorer avec excitation… quand on n’est pas un control-freak. Mais, vous savez quoi ? La perfection n’existe pas, et il y a des résultats dont vous serez plus fiers que d’autres, c’est normal. Il est tout de même important de commencer et de finir vos projets, pour accumuler de l’expérience et aussi tout simplement faire exister votre art ou l’univers de quelqu’un pour qui vous travaillez. Que vous soyez fan ou pas de votre propre travail. Toutefois, au nom du principe de subjectivité, vous pouvez être sûr que, quelque part sur la planète, au moins une personne sera capable d’aimer ce que vous avez fait, quelle qu’en soit la qualité que vous reconnaissez à votre propre travail. Alors ne soyez pas si dur avec vous-mêmes, ne vous empêchez pas d’avancer à cause de complexes que vous entretiendrez par votre inaction.

E.C.

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Collectif, Label, Project studio

2016, une année de reprises : TQID #10 / « Il Pleut » – Emilie Simon

Il y a 10 ans exactement, en octobre 2006, une amie m’a dit « écoute Emilie Simon, c’est bien ». Au pire, si ce n’est pas bien, je n’aurais rien perdu. Sauf du temps.
Sexiste et anti-français que j’étais à l’époque (en musique seulement hein), je me lance dans ma première écoute. « Désert ». Les paroles me laissent sceptique, la progression des accords n’est pas inintéressante. Mh. Cette amie m’a envoyé une autre chanson. Déjà, le titre ne m’emballe pas. « Il Pleut ». Allons bon, après avoir parlé du désert, voici qu’elle parle de la pluie, quelle originalité. Elle a fait des études de géologie ou quoi ?
Et finalement, oh oui, quelle originalité ! Et il fallait le faire pour m’étonner.

Voilà, « Il Pleut » était devenue ma chanson française préférée (et dans mon top 50 personnel). En bon Breton que je suis, tout naturellement je me reconnaissais dans les paroles… non, je plaisante. Les percussions sont très singulièrement organiques, les synthés sont naïfs et purs, peut-être pas cheap mais au moins rétro. Le morceau a une couleur vraiment unique, et c’est ce qui en fait pour moi un morceau majeur de ma playlist.
J’en avais enregistré une version il y a un peu plus de deux ans, pour tester du nouveau matériel :  un micro voix, un Shure PG42, très très précis dans les contours et les hautes fréquences (je recommande !) ; et un ampli guitare fraîchement acquis d’occasion, un Peavey Bandit 112 dont j’avais déjà grillé autrefois un modèle de taille inférieure (je trouve que sa sonorité casse moins les oreilles qu’un ampli Fender) (je parle pour les amplis à transistors). Cette reprise avait un potentiel. Cette année, j’ai décidé de la déterrer et de la retravailler avec Jennifer au saxophone pour sortir cette reprise qui traînait au fond d’un tiroir.14813616_1266504000047760_958538499_nJ’ai rencontré Jennifer à la fac d’anglais en 2002 (mon dieu, que je suis vieux). La vie a fait qu’on s’est perdu de vue, puis on s’est retrouvé grâce à Mark Zuckerberg en 2010. J’apprends qu’elle fait du saxophone. Je garde l’info dans ma tête. L’an dernier, je fais un saut par chez elle, au pays de l’huître, et on tente les premiers enregistrements de saxophone (pour un autre titre que la chanson d’Emilie Simon) avec ce fameux micro PG42, sur un pied de micro. Au départ un peu intimidée par son premier enregistrement, elle apprend à dompter son trac. Mais la prise de son ne me satisfait pas totalement, et je mets tout ça de côté.
14799913_10153965836621787_340609735_oCette année, Jennifer décide de faire les choses en grand et de se procurer une carte son et un micro fait pour le saxophone, qui s’accroche au bord du pavillon (bien plus pratique !) qu’elle va rentabiliser en devenant ma saxophoniste récurrente (elle est obligée maintenant). Elle s’est mise à Mixcraft 7 (le Protools-like de ceux qui sont malins) pour enregistrer et manipuler les pistes. Avec beaucoup d’abnégation, elle a réussi à déjouer les problèmes de drivers et de périphériques pour m’enregistrer de très belles pistes très propres avec lesquelles j’ai pu travailler avec beaucoup d’aisance. Merci et bravo à elle !

Vous pouvez trouver le morceau sur Bandcamp et Soundcloud.

E.C.

Collectif, Label, Project studio

2016, une année de reprises : TQID #9 / « Come As You Are » – Nirvana

Ce 24 septembre, nous fêterons les 25 ans de Nevermind, l’album de Nirvana qu’on ne présente plus. Aujourd’hui, 22 septembre 2016, nous fêtons l’anniversaire d’Imane El Halouat, qui est une lady dont nous tairons évidemment l’âge. Non pas qu’elle soit spécialement vieille, mais peut-être voudra-t-elle garder cette information secrète dans quelques années, quand elle sera trentenaire. Dans 9 ans.

Le monde est petit, surtout pour les gens qui sont en mouvement, voire hyperactifs, dans leur domaine. C’est le cas d’Imane, que j’ai rencontrée par l’intermédiaire de Jimmy, camarade bassiste de Blue Chill, mais dont j’aurais pu faire la connaissance via Yassine Benslimane, ancienne voix du groupe The Basement qui sévit au Maroc depuis quelques années et qui avait atterri sur mon (sky)blog il y a quelque chose comme… 10 ans. Et Yassine la connaît aussi. Pour la petite histoire, j’ai rencontré Jimmy grâce à sa sœur qui avait atterri également sur mon (sky)blog. Je dois ma vie sociale à ce blog, ma parole. Et bientôt tout le monde connaîtra tout le monde, aussi. La planète compte 200 habitants.

Imane est une musicienne prolifique qui enregistre et mixe ses morceaux elle-même dans des conditions terribles : avec le micro et la carte son internes d’un ordinateur portable. Et elle arrive à en tirer de superbes résultats qu’elle publie sur son Soundcloud.

Fasciné par ce qu’elle est capable de faire avec peu de moyens, je décide donc de lui proposer de participer au grand projet des reprises du mois. On parcourt nos playlists respectives, à la recherche du morceau qui pourrait nous convenir à tous les deux. Elle me propose des titres intéressants mais le principe de la reprise du mois est de choisir un morceau qui représente quelque chose pour moi, auquel est rattaché un souvenir personnel. Oui, c’est un projet mégalomane, complètement, j’avoue. Notre choix s’arrête sur « Come As You Are » de Nirvana, qu’elle a déjà repris avec un camarade à elle. Je décide donc de partir de leur reprise pour imaginer la nôtre.

Par réflexe, je commence avec le piano, puisque le morceau n’a été que trop joué à la guitare dans les années 90. C’était la classe à l’époque, quand tu étais débutant, de jouer les premières notes de « Come As You Are ». Je ne faisais que du piano à l’époque, donc je n’avais pas la classe, je regardais juste les apprentis guitareux glorieusement exécuter la montée et la descente chromatiques entre la deuxième case et la corde de mi à vide. Alors je me suis fait plaisir dans cette version, avec un solo de piano au milieu, parce qu’il n’y en a toujours que pour la guitare, et y’en a marre, quoi, hein.

Vous pouvez trouver le morceau sur Bandcamp et Soundcloud.

E.C.