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Les nouvelles règles en streaming musical : Deezer veut éradiquer la fausse musique, Spotify veut éradiquer les petits artistes.

Le monde du streaming musical connaît un tournant historique en ce moment même. Deezer et Spotify révisent leurs règles de rémunération : Deezer veut éradiquer la fausse musique, Spotify veut éradiquer les petits artistes. Pour le moment, aucune info concrète du côté d’Apple Music, le 3ème géant du streaming.


C’est quoi « la musique » ?

Le marteau est un instrument percussif qui peut aussi servir à planter des clous.


En septembre 2023, Stéphane Rougeot, directeur général adjoint de Deezer, affirmait que ça ne lui semblait « pas équitable de rémunérer le stream d’un artiste de la même manière qu’un stream de bruit de pluie« . Quel hasard, c’est exactement la citation de Robert Kyncl, patron de Warner Music, qui déclarait au printemps dernier qu’il n’était « plus possible qu’une chanson d’Ed Sheeran rapporte autant que le son de la pluie tombant sur un toit ». Ed Sheeran c’est plus fort que la pluie, t’as compris ?
Interprétons la règle sous-jacente. Un enregistrement de pluie, ou de phénomène que l’on pourrait qualifier de naturel, n’est pas considéré comme de la musique car il n’y a pas de « construction » humaine. Même si un vent, par frottement contre une matière, peut produire une note, et être écouté comme de la musique : ça n’en est pas selon la définition de l’industrie musicale. Pour le droit français, une œuvre est originale lorsqu’elle porte « l’empreinte de la personnalité de son auteur ». On ne place pas avec précision les gouttes de pluie, et on ne gère pas l’intensité du flux.
Deezer précise qu’il souhaite démonétiser tous les « bruits non-musicaux », comme par exemple les bruits blancs, parmi lesquels le son d’une cascade, mais aussi tous sons artificiels ne présentant pas de hauteur tonale. Pour des contenus à la musicalité relative voire questionnée, Spotify va juste décaler le seuil de déclenchement de rémunération qui est à 30 secondes d’écoute pour un morceau standard.
A mi-chemin entre Ed Sheeran et une cascade, on a donc la musique atonale expérimentale, qui est une construction humaine avec l’empreinte de la personnalité de son auteur (ah, donc de la musique) à base d’événements sonores généralement considérés comme des bruits (ah, donc pas de la musique). Musique ou pas ? On attendra la réponse de l’industrie musicale.


Les créations avec l’intelligence artificielle

Les I.A. musicales arrivent : elles sont programmer pour terminer votre carrière.


Deezer et Spotify partent en croisade contre les musiques générées par l’intelligence artificielle, ou plutôt avec l’intelligence artificielle. En effet, l’intelligence artificielle n’est pas le sujet-créateur, n’a pas d’intention ni de projet : elle est un outil, et permet à un humain-sujet d’obtenir un résultat qui émane de sa volonté. Une intelligence artificielle n’a aucune volonté propre, elle est au service de l’humain qui l’utilise. On l’a vu plus haut, pour le droit français, une œuvre est originale lorsqu’elle porte « l’empreinte de la personnalité de son auteur ». Une I.A. peut-elle avoir une personnalité ? Nous définirons « personnalité » dans un prochain article.
Avec Boomy, on peut générer de la musique artificielle, et ça n’est pas (encore) sanctionné par les plateformes de streaming en théorie. Seules les voix qui copient des voix de chanteurs connus constituent une fraude. Ok, là on est sur le terrain de l’usurpation d’identité, donc cela semble normal de vouloir empêcher ces abus qui surfent illégitimement sur la renommée d’autres personnes.
En réalité, tout usage d’intelligences artificielles implique l’exploitation d’une base de données alimentée par des contenus organiques qui y sont importés sans consentement des auteurs. Donc, en théorie (et en pratique), toute œuvre issue d’intelligence artificielle est une atteinte au droit d’auteur car elle est une création composite d’éléments n’appartenant de facto pas à l’utilisateur de l’IA. Mais ce n’est qu’un détail dans l’histoire, apparemment.
Est-ce que les algorithmes magiques des cyberpolices des plateformes de streaming musical sont capables de distinguer les voix générées par IA, les voix synthétiques, les imitations, les voix similaires, sans jamais la moindre confusion ? Est-ce qu’une usurpation d’un timbre par IA est plus répréhensible que par un imitateur humain ? Ces questions sont intéressantes, mais la situation est (pour l’instant) plus simple : tant que ce n’est pas le nom de l’artiste usurpé qui est noté lors de la distribution digitale, tout va bien. La maison de disque doit juste surveiller les sorties de ses artistes pour détecter les faux. C’est pas du boulot d’algorithme sophistiqué, ça.
Jeronimo Folgueira, PDG de Deezer, explique que son but est notamment de « développer un nouveau système de rémunération où les artistes professionnels sont récompensés pour la création de contenus de valeur. C’est pourquoi nous avons développé des outils pour détecter les contenus générés par des I.A. ».
On comprend que limiter les musiques générées par I.A. permet d’éviter aux musiques crées « organiquement » d’être diluées. En outre, il est intéressant de noter que Deezer considère que la musique est un contenu de valeur quand elle est créée par des humains (ce qui est une vision très humaniste qui n’accorderait donc pas le pouvoir d’évaluation au consommateur qui pourrait très bien aimer quelque chose de totalement créé par I.A.). Spotify est du même avis… à une nuance près.


Pour Spotify, certains artistes ne valent rien

Spotify : le ruissellement sélectif.


La nouvelle grande règle de Deezer, c’est de limiter un utilisateur à 1000 écoutes par mois par artiste. Bon, ça semble honnête. Ça vous paraîtrait faisable, vous, d’écouter 1000 titres d’un seul artiste par mois ? Seul un fanatique serait capable de se farcir 30 titres par jour maximum. En même temps, ce sont les fanatiques qui sont les auditeurs les plus engagés. Ils achèteront les albums et iront au concert, ça ira.
Ce qui pose souci, c’est le double barème : les artistes qui obtiendront plus de 1000 écoutes et plus de 500 auditeurs uniques par mois auront un meilleur taux de rémunération par stream que les autres. Plus on en a, plus on en a. Mais Spotify fait pire. L’argumente. Le revendique.
Dans un article de blog qui semble improbable, Spotify explique que des dizaines de millions de titres sur leur plateforme ne rapporte que quelques mini-centimes. Les distributeurs digitaux et labels ne reversent pas mensuellement ces sommes microscopiques aux artistes, et attendent d’atteindre un pallier de plusieurs dollars/euros. Spotify considère que ces sommes ne comptent pas et prétend qu’elles sont négligeables et négligées : « this money often doesn’t reach the uploaders (…) these small payments are often forgotten about ». Selon Spotify, cet argent ne revient pas souvent aux artistes, ces petits paiements sont oubliés. Littéralement : puisque personne ne réclame son dû, autant ne jamais le leur accorder. Un dû oublié n’est plus un dû. Hallucinant.
La réalité du terrain est très différente : bien sûr, il y a des artistes absolument désengagés qui font 2 écoutes par mois (eux-mêmes) et qui n’investissent ni temps, ni argent, ni effort pour promouvoir leur musique (tout juste s’ils savent que les streams rapportent de l’argent). Mais il y a aussi les petits artistes indépendants qui comptent sur ces petites sommes, car les petits ruisseaux font les grandes rivières. On n’en est pas à des océans, certes, mais réussir à obtenir 20 euros en quelques années représente tout de même un juste retour car cet argent n’est pas volé, il est issu d’une logique juste de rétribution en fonction des écoutes réelles (plus ou moins, car les chiffres sont et ont toujours été douteux, mais on est obligé de les croire). Estimer que, selon les circonstances, ces écoutes légitimes ne valent aucune rémunération est juste scandaleux.
Spotify minimise jusqu’à la légitimité de ces montants dus, et estime que leur total de 40 millions de dollars (l’intégralité de ces quelques centimes pas reversés aux petits artistes) pourrait plutôt servir aux artistes « qui sont le plus dépendant de leurs revenus de streaming« , euthanasiant économiquement les plus petits des artistes.


La réaction avec The Queen Is Dead Records

C’est l’heure de la rébellion.


Plutôt que rester sur une simple réaction d’indignation, avec un discours victimaire qui n’apporterait rien de bon ni d’utile (« Spotify est méchant, c’est affreux, qu’est-ce qu’on va devenir ? »), il faut prendre ces changement du bon côté : si vous ne faites rien pour votre musique, vous allez laisser Spotify l’évaluer. 0 € / $ / £. Si ce tarif vous dérange, vous avez le droit de protester. C’est l’occasion pour tous les artistes indépendants de se rebeller, et d’aller se battre pour sa musique (et non pas contre Spotify) :
– obtenez les 1000 streams, en vous concentrant sur un morceau spécifique dans vos opérations de promotion
– ne restez pas dépendants de Spotify, libérez-vous du streaming et créez un Bandcamp et un site web qui favorisent le lien direct entre auditeur et artiste
– ne restez pas dépendants du numérique, faites du physique (CD, clé USB, vinyle…) et vendez-le lors de vos concerts (rémunérés, par pitié)
– « éduquez » (c’est un mot un peu fort qui fait un peu stalinien) votre public en lui expliquant que sa manière de consommer de la musique a des conséquences sur l’économie au sens large autant que sur les musiciens
– si vous êtes un artiste distribué par The Queen Is Dead Records, écoutez et partagez la playlist de Distribution-TQIDr avec tous les artistes distribués par TQIDr pour faire valoir des valeurs de solidarités, et aider tout le monde à atteindre 3 écoutes par jour par morceau (largement faisable).

Deux points importants :
– Ne cédez pas à l’achat de streams, car ce serait une grave erreur. Ne payez pas non plus pour intégrer une playlist. Travaillez plutôt en vous basant sur les enseignements de Guil’s Records.
– The Queen Is Dead Records est en développement constant pour apporter soutien, explications et solutions aux artistes indépendants. Toute suggestion qui pourrait être une nouvelle inspiration sera la bienvenue, envoyez vos idées à laurent.auffret@tqidr.com

Pour plus d’informations, je vous invite à consulter l’article de Guil’s Records qui propose analyse et solutions :
« Nouveaux modèles de rémunération du streaming chez Spotify : ce qui vous attend »


L.A

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